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La subalternité peut-elle lire ?

NAZIK DAKKACH

sam. 3 déc
17h30 — 19h

 

Photographie de Abbas. Les étudiantes dans un laboratoire de zoologie à l'Université du Caire, 1987.

Lorsque nous posons cette question: « la subalternité peut-elle lire ?» ce que voulons dire c’est plutôt: « pouvons-nous lire les un.e.s pour les autres ? ».

Dans son ouvrage I love Dick, Chris Kraus converse avec Deleuze et Guattari, elle répond à leur énonciation du désir et du manque et écrit « le désir ce n’est pas le manque, c’est un surplus d’énergie – une claustrophobie sous la peau ». [1] Bien que Kraus soit blanche, instruite, riche et célèbre, cette définition d’un “désir qui excède” a le potentiel d’éclairer un état familier à la subalternité. Il s’agit d’une certaine agitation ou encore d’une imminence de l’expansivité ressenties dans les vécus racisés, tout particulièrement ceux des femmes et ceux identifiés à des expériences femme, queer et trans. Cette claustrophobie inhérente à la condition coloniale se manifeste dans l’intimité, teinte les amitiés mais traverse aussi les gestes artistiques et d’écriture. Ce sont précisément les personnes et les œuvres qu’elle concerne qui sont trop souvent comprises et représentées comme étant déficientes.

Nous proposons de renverser les termes qui naturalisent le manque en résistant à un diagnostic de la déficience et à toute prescription oeuvrant à pacifier, corriger ou ajuster le sujet subalterne. 

L’acte d’écriture est effectivement traversé par le désir, faire de ce l’on aime notre travail est un fait du désir et un transfert de désir dans le monde. Simultanément, c’est un privilège que d’être désirable, que d’être reçu.e, sollicité-e et accommodé.e. Car devant nous s’érige continuellement une économie genrée du désir et ses innombrables transactions organisées par les paramètres régulateurs de race et de classe. Ici, la distribution d’un quelconque surplus de désir est consubstantielle à celle d’un surplus de travail (émotionnel) tandis que tous deux sont métabolisés par le patriarcat et le libre marché.

Mais cet excès d’énergie (une accumulation de survie à la limite du supportable) ne se situe pas uniquement sous la peau du corps subalterne. Il s’énonce déjà dans la manière dont les corps racisés – présumés par ailleurs déficients - excèdent le milieu institutionnel et envahissent ses espaces. [2] Nous rappelons à cet effet que ces conditions d’existence et de circulation(s) ne sont pas spécifiques au contexte académique, elle organisent déjà la société à tous ses niveaux. C’est cet aménagement qui fait que les chercheur.e.s subalternes sont amené-e-s à lire les puissant-e-s (dans ce cas-ci Deleuze, Guattari, Kraus), mais encore, à les lire pour les lieux mêmes du pouvoir dont elles/ils doivent démontrer qu’elles/ils reconnaissent les codes. Elles/ils expient et se rachètent. Conséquemment, lorsqu’elles/ils écrivent c’est souvent pour mieux justifier leur excès dans la tentative de se faire connaître autrement que pour la déficience.

C’est pourquoi, lorsque nous posons cette question: « la subalternité peut-elle lire ?» ce que voulons dire c’est plutôt: « pouvons-nous lire les un.e.s pour les autres ? ». 

Amenez des livres qui vous émeuvent, des ouvrages qui vous ont encouragé à écrire, qui vous ont consolé, guéri et qui se côtoient comme des amis.

  • Les participant-e-s peuvent amener autant de livres qu’elles/ils le souhaitent.
  • Les participant-e-s peuvent lire l’équivalent d’une page à la fois.
  • Les participant-e-s peuvent lire dans la langue de leur choix.
  • Les participant-e-s peuvent décider de commenter ou pas les passages choisis.
  • Les participant-e-s sont invité-e-s à assister à l’événement sans être tenu.e.s de lire.

Veuillez prendre en considération que cette rencontre a pour mandat de prioriser les voix autochtones, afrodescendantes et racisées. Les allié.e.s sont les bienvenu.e.s pour autant qu’elles/ils sont conscient.e.s que leurs voix sont trop souvent entendues. Les ouvrages amenés seront répertoriés en une bibliographie qui sera accessible sur le site internet de l’Atelier Céladon suite à l’événement.

[1] Chris Kraus, I Love Dick, 1997.
[2] Nirmal Puwar in Sara Ahmed, On Being Included: Racism and Diversity in Institutional Life, 2012.

Née à Casablanca, Nazik Dakkach vit à Montréal où elle est candidate à la maîtrise en histoire de l’art à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Sa recherche se veut de mobiliser des méthodologies décoloniales et futuristes et examine les hantises de l’aménagement colonial actuel et les enjeux contemporains de l’orientalisme. Elle est également active en tant qu’artiste au sein du collectif transdisciplinaire Artivistic.