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Étrangers communs
Face aux phénomènes médiatiques sensationnalistes, et la multiplication de cas d’appropriation culturelle de la part des stars populaires, nous dénonçons l’appropriation et l’exploitation continue des corps et des cultures des personnes de couleur. D’où la question : à qui appartient la culture ? Dans une réflexion sur et allant au-delà des réclamations culturelles traditionnelles, nous présentons neuf artistes basés à Montréal pour créer un dialogue avec la première Conférence sur la diaspora, Étrangers communs 2015, qui se déroule sur le territoire mohawk non cédé et dans un quartier en processus d’embourgeoisement avec une histoire longue mais effacée du Black power. Nous cherchons à occuper l’espace sans tracer de frontières et à re-présenter les signes culturels racisés dans un amalgame d’ambiguités. Dans la recherche de points communs entre différents membres de ce qu’on appelle « la diaspora des personnes de couleur », les artistes figurant dans l’exposition Étrangers communs présentent des objets à connotation culturelle en mouvance par essence, mais qui ne marquent pas une identité fixe. Qu’est-ce être ou se sentir étranger ?
Les œuvres à l’honneur soulèvent une double aliénation, l’une au sein de la société –façonnée par la suprématie blanche, le colonialisme, le racisme, le sexisme, entre autres– et l’autre à l’intérieur de soi. Ce sentiment est alimenté par une identité instable qui peut être à la fois source d’oppression et d’inspiration créative sans limites. C’est cette tension qui est mise en œuvre dans Étrangers communs. On aperçoit un vêtement familier en vitrine. Et pourtant, peu de gens connaissent son nom, « cheongsam », ou son histoire. Dans Hybrid Dresses, les robes de Cheryl Sim sont des véhicules de recherche pour l’artiste, partant de l’ambivalence de leurs connotations sociales pour arriver à la construction d’une signification personnelle. De la même manière, les œuvres sans titre de Yuki Kasaï Paré et les créations en céramique d’Eli Oda Sheiner se croisent dans leur effort d’explorer les multiples couches de la réalité racisée, ainsi que les différents moyens pour renouer avec son patrimoine par le biais de la matière et (ré)apprendre à être soi-même. Les œuvres avec leur hybridité propre sont mises en dialogue. À vous d’observer et d’y mettre votre grain de sel.
Puisant dans les fragments de l’imagerie réclamée de l’histoire et ceux construits dans le présent, Of Canaries and Revolutions de Kosisochukwu Nnebe, Passive Legacy de Shani Kossally et la sélection d’œuvres de la série The Floating Homeland de Shanna Strauss questionnent la signification du retour aux racines. La dualité du devenir alien est manifeste dans la performance de Viola Chen, 常回家看看 (reviens souvent), ainsi que dans la vidéo Two Snakes de Kristin Li (toutes les deux présentées à l’évènement de la clôture de la conférence). Construire son chez-soi et s’orienter dans la complexité de son patrimoine, afin de se l’approprier, sont des missions délicates. Peut-être que le sentiment d’appartenance n’existe pas après tout ? Le caractère envahissant de la mauvaise identification et de l’exotisation est marquant à la fois dans l’installation I Knew You Were Some Kind of '-nese' et le montage vidéo Misc. Girl TV d’Aletha Persaud. Face aux effets des dynamiques inégales d’ordre politique, sociale et économique de la société capitaliste, et la rémanence de la colonisation sur l’Île de la Tortue, les artistes d’Étrangers communs bâtissent ensemble un carrefour où se croisent les désirs collectifs liés à l’amour de soi, à la guérison et à la construction de réalités alternatives et inaliénables à travers l’art.
COMMISSAIRES D'EXPOSITION Hera Chan, Sophie Le-Phat Ho, Kosisochukwu Nnebe
Exposition 1er—29 octobre, 2015
De jeudi à samedi entre 13 h et 18h ou sur rendez-vous (info@atelierceladon.com)
Vernissage 1er octobre, 19h30—21h30
Soirée de clôture 4 octobre, 19—21h
Z Art Space (819, Avenue Atwater)
ARTISTES
viola chen 陈宜晴 (soirée de clôture seulement)
Yuki Kasaï Paré
Shani Kossally
Kristin Li (soirée de clôture seulement)
Kosisochukwu Nnebe
Eli Oda Sheiner
Aletha Persaud
Cheryl Sim
Shanna Strauss
Quand on lui demande pourquoi certaines personnes accordent peu d’importance aux notions de race et d’ethnicité dans leurs expériences personnelles, leurs valeurs et leurs façons de faire, Scott, un homme blanc, répond : « C’est une façon de se défendre contre les conséquences ‘traumatiques’ qui émergent lorsqu’on doit confronter ‘l’écart de différence’, en lien avec la race, l’ethnicité et la culture, entre les personnes blanches et non-blanches ». Ainsi, pour tous les Scott vivant au Canada et appartenant au groupe ethnique dominant, ce ‘mécanisme de défense’ fait partie intégrante de leurs expériences quotidiennes.
Dans un esprit de réconciliation, Étrangers communs a élaboré une plateforme tant recherchée qui met de l’avant un bon nombre de narrations refoulées dans la conscience occidentale. De ce fait, les artistes réuni-e-s dans cette exposition partageront leurs expériences uniques avec le public en tant que membres d’une minorité visible qui tentent à tout jamais de réclamer leur position ethnique et de mieux comprendre leur identité diasporique. En faisant allusion aux notions imaginées de la patrie et de l’appartenance; encourageant une étude approfondie de leurs histoires mixtes, qui révèlent à la fois des sentiments de conflit et de désir; et en répondant de manière subversive aux attentes sociales face à la diversité, ces artistes démontrent avec justesse la nature complexe de la représentation ethnique en tant que construction sociale, tel que souligné par Carl E. James : « L’ethnicité n’est pas seulement une question de choix individuel : les membres de la société y jouent un rôle. »
À cette occasion, la galerie Z Art Space est heureuse de soutenir et de collaborer avec l’Atelier Céladon dans cet effort de dialogue continu.
DIRECTRICE, Z ART SPACE Tianmo Zhang
À toi qui regarde ...
À propos des artistes
Cérémonie de clôture
Two Snakes
vidéo
* projection spéciale *
Une vidéo expérimentale d’animation et documentaire sur les désirs diasporiques pour les mythes fondateurs. Rechercher son chez-soi dans l’ascendance réclamée et rechercher le soi par la réappropriation de récits, pour finalement trouver des fragments. Bande originale par Julie Matson. Créée initialement pour OEDIV CISUM, une soirée d’art vidéo accompagnée par une trame sonore en direct.
Née à Chengdu, Chine, Kristin Li vit et travaille actuellement à Montréal. En temps que vidéaste émergente, Kristin a réalisé des films d’animation, des documentaires et des films de fiction expérimentale qui jouent avec l’incohérence des narrations : le côté diasporique ambivalent des récits sur les origines, les fables religieux pervertis et reconstitués, les récupérations néolibérales des imaginaires queer. Son travail a été présenté en Amérique du Nord et du Sud, et en Europe, notamment à l’occasion du Chicago International Movies and Music Festival et du Entzaubert Queer Film Festival. Le travail de Kristin est distribué par GIV (Montreal) et Video Out (Vancouver).
常回家看看 (reviens souvent)
performance et installation, vidéo
L’œuvre de performance explore la subjectivité diasporique en temps qu’expérience corporelle. Le sujet est à la fois une manifestation métaphorique et physique d’une alien, qui est en négotiation et renégotiation continuelle avec son environnement.
Son corps est en partie submergé dans une piscine gonflable, dépeignant un décor grossier et utopique. À l’intérieur de la piscine flotte une série de tirages photographiques, des arrêts sur image de paysages chinois décontextualisés, naturels et urbains, et d’espaces ménagers. Ces photographies ondoient autour d’elle comme des images à la fois sensiblement proches et fantastiquement lointaines. Le contenu des images et leur matérialité semblent être décalés par rapport à l’espace et au temps.
Le sujet semble également être hors du temps et hors de l’espace, pataugeant dans l’eau de la piscine, manifestement sans destination ni raison alors que les photographies se dissolvent matériellement. Le public est invité à contempler : qu’arrive-t-il lorsque l’encre des images se dissout dans l’eau qui submerge le sujet ? Le pays d’origine peut-il empreindre l’alien diasporique à partir du monde concret ?
“常回家看看”, librement traduite du mandarin par « revenir (à la maison/aux racines) souvent », est une chanson chinoise populaire qui évoque, tel un hymne national, des sentiments communs de nostalgie, de piété filiale et de loyauté envers la structure de famille traditionnelle. Mais l’entendement (du langage, des structures sociales et des relations familiales) du sujet diasporique a été modifié par la migration et le déplacement. Pour elle, la chanson est une invitation à l’impossible : le « chez-soi » n’est plus un lieu concret mais plutôt une destination hors de portée.
L’alien diasporique appartient toujours à un lieu autre qu’ici et n’est jamais définie dans le moment présent. Elle doit attendre que son chez-soi agisse sur elle. Les autres attendent, aussi, mais elle ne sait pas qu’ils existent.
viola chen est aussi 陈宜晴 est aussi sa grand-mère. Le prénom « Viola » a été arbitrairement donné par un dictionnaire de traduction électronique, mais ce souvenir ne lui est plus tragique. Viola a toujours été, et continue à être un p’tit insecte qui aime faire de l’art et trouver des nouvelles façons de s’identifier aux autres. Née à Tianjin, en Chine, elle demeure actuellement sur le territoire mohawk de Kahnawake non cédé.
Ses champs d’étude tournent autour des identités diasporiques d’Asie orientale, les cultures populaires, l’immigration et l’installation, et la souveraineté autochtone sur l’Île de la Tortue. Ce qu’elle préfère de l’école, c’est d’apprendre sur les différentes manières que les gens ressentent.
L’art qu’elle fait explore diverses notions telles que la satisfaction, la trivialité, la nausée et l’habitude, en particulier au sein des narrations genrées. Elle s’intéresse au mensonge comme stratégie de survie. Elle a le soleil en taureau, la lune et vénus en bélier.
Nous tenons à remercier Tianmo Zhang et la galerie Z Art Space pour leur soutien précieux, en particulier dans la mise en place d'un espace de partage pour la première Conférence sur la diaspora, Étrangers communs 2015. C'est par le biais d'un dialogue sur le rôle crucial des contextes dans la diffusion de l'art à travers le monde que nous avons semé les graines d'une plateforme d'échanges, dans l'espoir qu'elle continuera à inspirer un mouvement collectif.
Nos évènements ont été rendus possibles grâce au soutien et à la générosité du Fonds pour l'équité de l'Association étudiante de l'université McGill (AÉUM).